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Le camp militaire de « Sissonne »

1910 Les manoeuvres

Le récit dAbel LUGEZ

Les manoeuvres à Sissonne débutent en 1892 sur des terres encore en location, le camp étant créé en 1896. Les conditions de trajet et de séjour, seront, selon les époques, des épreuves aux souvenirs impérissables.
Au début du XXèmesiècle, le trajet se fait à pied pour arriver à Sissonne. Sur place les militaires goûtent aux joies du camping, le camp n'étant aménagé que de toiles de tente, hormis quelques bâtiments à usage collectif (cuisine, douches).

Les récits qui vont suivre présentent ces manoeuvres au hasard des époques et des personnages.

Manoeuvres à Sissonne en 1910

Ce récit est extrait des mémoires d'Abel LUGEZ , soldat au 345e R.I.
Avec l'autorisation de sa petite-fille Thérèse DORNIER

Seuls les extraits concernant Sissonne sont reproduits ici, le récit complet, en vers, est accessible par ce lien

Abel LUGEZ , soldat au 345e R.I.1910


M. Abel LUGEZ effectue son service militaire à Maubeuge et c'est à cette occasion qu'il ira en manoeuvre à pied jusqu'à Sissonne. La route se fait par étape de 20 à 30 kilomètres par jour.

Maubeuge-Sissonne à pieds : 91km - 4 jours

Manoeuvre en 1910


...
Puis bientôt arrivèrent les tirs de guerre.
Ces tirs de guerre allaient se faire au camp de Sissonne,
et à ce moment-là il ne devait manquer personne.
Ce camp de Sisonne est un très beau camp.
Nous les bleus, nous étions bien pressés d'y aller, mais quand ?
Puis ce grand jour arriva, et alors quel remue-ménage !
Préparer le fourniment, faire un ballot de tout son paquetage !
Ce sac de tenue de campagne, eh ! bien il n'était pas léger,
le bidon, la musette et le fusil par- dessus le marché !
Et le premier bataillon partit de bon matin,
pour faire la première étape jusque Avesnes.
En cette ville nous fûmes logés par billet de logement,
moi, avec un ancien, nous étions logés chez un coiffeur,
et ils furent pour nous assez accueillants.
Pour cette première journée nous avons eu un peu de bonheur.


La deuxième étape fut Avesnes - Etreaupont,
le vrai pays du cidre, et vraiment du très bon !
Là, j'ai une petite anecdote à vous raconter :
quand dans l'après-midi après avoir nettoyé tout mon fourbi,
tout à coup je m'entendis interpeller.
C'était le fourrier : " Lugez, vous qui êtes assez dégourdi,
par ordre du Commandant de Sénil,
il vous faut chercher l'adjudant B. par toute la ville,
et lui dire que c'est le commandant qui le demande !
Lugez, ne vous amusez pas, car cela est urgent ! "
Je commence par demander aux copains rencontrés,
et de faire tous les bistrots, sans en oublier.
Tant qu'à la fin, je suis tombé dans le bon,
quoique ne le voyant pas encore dans la maison.
En effet, dans ce bistrot je passai de table en table
à toujours demander la même chose aux camarades,
quand il y en eut un qui me dit d'un ton fier :
" Mais demande- le donc à la cabaretière ! "
Je lui dis' Merci !' et suivis son conseil ;
Je dis "  Pardon Madame, pourriez-vous me renseigner ?
Où pourrais-je voir l'adjudant B. ?
C'est mon commandant qui le demande ."
Quand elle a entendu' commandant ' elle ne put faire autrement
et me dit "  Venez avec moi, je vais vous montrer ".
Tous deux nous montâmes un grand escalier,
et quand nous fûmes arrivés sur le palier,
elle me dit " Il est là, frappez à cette porte ! "
J'ai frappé plusieurs fois et sans obtenir de réponse.
Tant qu'à la fin, perdant patience, je fonce,
et je vis l'adjudant allongé sur le lit, ivre mort.
à présent, que faire ? Il fallait bien le réveiller !
J'ai commencé par l'appeler en tirant par le bras,
et ce n'est qu'au bout de plusieurs fois,
qu'il me répondit : " qu'est-ce qu'il y a, qu'est-ce que tu veux ?"
Je lui dis : "  Mon adjudant, le commandant vous demande."
Il m'a répondu tout en grognant :
" Vas, tu lui diras que tu ne m'as pas vu ."
Une fois sorti de la chambre, j'ai redescendu l'escalier en vitesse
quand je vis la dame et cette fois à moi elle s'adresse :
" Vous avez pu le réveiller et qu'est-ce qu'il a dit ? "
" Il m'a dit de dire au commandant que je ne l'avais pas vu  "
Dans cette histoire je voyais bien que la dame était en peine,
et je lui dis : "  Madame, ne craignez rien,
car le commandant n'en saura rien. "
Puis vers mon cantonnement, je repartis en vrai coursier
pour rendre compte de ma mission au fourrier.
Mais celui-ci me dit " Allez en rendre compte au commandant ! "
Je frappe à la porte de son bureau et j'entends dire' Entrez !'
Je rentre, me colle au garde-à-vous en saluant correctement.
Je dis : "  Mon Commandant, j'ai parcouru toute la ville
et fait tous les estaminets sans trouver l'adjudant B.  "
" Bien, merci, vous pouvez disposer "
De nouveau au garde-à-vous en saluant, je me retirai.
Quand je fus sorti j'ai poussé un ouf, et j'ai dit' Quelle corvée !'
Et je suis allé retrouver mes camarades
à qui j'ai raconté l'histoire avant d'aller faire une promenade.


Je partis avec mon camarade B.on,
pour tâcher de trouver un coucher dans une maison.
En cours de route, dans un café, nous avons goûté ce bon cidre,
mais non, pas assez pour en faire une cuite !
Nous avons trouvé à coucher chez deux bons vieux,
dont le fils était soldat lui aussi.
Nous avons dormi dans un bon lit et nous étions bien contents.
Ils auraient bien voulu qu'à leur fils, on en fasse autant.
Le lendemain matin, nous avons bu une bonne tasse de café,
puis nous sommes partis après les avoir remerciés.

Une halte


Et destination le rassemblement, après nous être équipés,
pour faire la troisième étape Etreaupont - Montcorné.
Le village de Montcorné n'était pas aussi beau que le précédent,
et nous étions toujours logés par campement.
Si on n'est pas désigné pour le ravitaillement de l'escouade,
on se dépêche bien vite de se laver et nettoyer tout son bazar.
Puis, chacun se débrouille pour trouver un meilleur coucher.
Cette fois-là, je suis parti avec un ancien,
François F., pour voir si on ne trouverait rien.
à la première maison où nous nous sommes adressés,
cela avait l'air d'un tout petit fermier,
tenu par deux bonnes vieilles, deux soeurs sûrement.
Cette fois encore, nous avons repris notre boniment.
Nous n'espérions pas être acceptés,
mais ce fut le contraire et avec un oui d'emblée.
Elles nous ont demandé de ne pas venir trop tard,
car elles se couchaient tôt le soir.
Arrivés en soirée, et conduits dans notre chambre
et quand la bonne vieille se fut retirée,
tout de suite, pour tâter le lit, nous nous sommes empressés.
C'était un bon lit, un lit tout de duvet !
Nous nous regardâmes tout en riant :
car de cette surprise nous étions comme deux ronds de flan !
Et, pensez dans ce lit moelleux si nous avons ronflé !
Au matin, nous nous sommes lavés et habillés.
Ces bonnes dames nous demandèrent si on avait bien dormi.
On a répondu' très bien et n'avoir dormi dans un si bon lit ! '
Elles étaient contentes et nous ne savions comment les remercier.
Puis nous sommes repartis vers notre compagnie ;
en arrivant, nous avons bu notre jus en cassant une croûte.


Et cette fois c'est l'étape de Montcornée- Sissonne.
Aussitôt au camp, on va dans sa tente pour tant de personnes
montée, il fallait la tendre avec des piquets de soutènement.
Et maintenant à l'intérieur on peut y prendre son fourniment.
Par temps de pluie, ces toiles de tente ne percent pas,
mais attention, il ne faut pas y mettre les doigts !
Et quel changement avec la vie de caserne
car, là vraiment, on est au grand air.
Bien vite on fait connaissance avec ce camp
avec des marches de bataillon et même de régiment,
et des marches- manoeuvres avec repas froid sur le terrain.
Et tout cela bien sûr pour vous mettre en train.

Arrivée à Sissonne
Entrée dans le camp


Puis arrivent enfin les tirs de guerre :
les tirs debout, à genoux ou couchés.
Ces tirs se font compagnie contre compagnie,
ou encore bataillon contre bataillon.
C'est à celui qui aura les meilleurs résultats
pour nous, meilleur ou pas, on n'obtint pas de permission.

Soldats au tir


Puis vient la fin de ce séjour.
De nouveau c'est le grand remue-ménage,
car le lendemain, c'est le départ au petit jour,
et on quitte ces lieux avec armes et bagages.
Puis on a fait la route en sens inverse,
les mêmes cantonnements et les mêmes adresses.
Et le quatrième jour nous ramène à Maubeuge.
On traverse la ville au pas cadencé et en musique ;
après cette rentrée triomphale, la colonne se disloque
en fractions de compagnie et de bataillon.
En prenant la direction de la caserne ou des forts
et après ces quatre jours de marche,
on est bien heureux de rentrer au bercail,
et celui qu'on va adorer le plus c'est le plumard !
Où je crois bien que l'on ronflera tous au plus fort. ...

Juin 1914 :

M. Abel LUGEZ est rappelé pour effectué une période au camp.


...
Mais quand arriva le mois de juin de 1914,
je repartis pour dix-sept jours faire une nouvelle période.
Et de nouveau pour Sissonne je partis en train,
pour faire des manoeuvres en quantité dans ce camp ;
Manoeuvres de jour, de nuit et de jour, tout en suivant,
et par des chaleurs accablantes. On en avait plein le train.
Tous les cent ou deux cents mètres, il en tombait un sur le côté,
et on ne savait même pas si on allait les ramasser.
Cela a été très dur, ça sentait vraiment la guerre.
Et nous pauvres troupiers, que pouvions-nous y faire ?
...

Avant 1918

Alexis GIROT

En 1985, une pierre calcaire est découverte lors de la fouille archéologique du tumulus situé dans le camp de Sissonne. Elle porte le nom de GIROT Alexis et se trouve cassée juste après le mot « classe ». Sans doute gravée lors d'un moment de repos, pendant une manoeuvre dans le camp.
Il pourrait s'agir de GIROT Placide, Louis, Alexis, Joseph, soldat au 276e régiment d'infanterie, décédé le 18 mai 1915 à Albain Saint-Nazaire, dans le Pas-de-Calais et originaire de Roz-sur-Couesnon, en Ille et Vilaine.


17 juin 1917

Ernst JÜNGER, lieutenant au 73e Fusillé allemand et auteur du livre « Orages d'acier » sera aussi envoyé à Sissonne, alors occupé par les troupes allemandes.
« Je fus détaché de Fresnoy-le-Grand, dans l'Aisne, pour suivre, quatre semaines durant, au camp de Sissonne, près de Laon, un cours d'instruction pour chefs de compagnie. (extrait de la page 158). »


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Recherches : JF MARTIN

Source : Thérèse DORNIER

Mise en page : PH


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© Site du Club Informatique Ademir. Dernière modification le 14/12/2015 à 18:49