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Les sites et monuments remarqués dans « Sissonne »

Les obsèques du Doyen Dupire (1879)

Discours de M. l'abbé Poquet.

Extrait de "La Semaine Religieuse du Diocèse de Soissons et Laon du 6 décembre 1879

Mes chers Frères,

En déposant ces quelques paroles sur la tombe de votre vénéré pasteur et d'un éminent confrère, j'ai besoin de réclamer votre indulgence si je suis au-dessous de mon sujet, n'ayant eu que quelques instants pour résumer une vie si belle et si pieuse.

Qu'il nous soit permis d'appliquer, au cher défunt que nous pleurons, l'éloge que la Sainte-Ecriture fait de Moïse, en nous disant qu'il fut aimé de Dieu et des hommes. Car si l'un fut choisi du Seigneur pour être le libérateur de son peuple, son introducteur dans la terre promise ; l'autre fut aussi chargé, pendant sa longue carrière, d'être le libérateur des consciences et l'introducteur des âmes dans la céleste patrie. Tous deux, on peut le dire, se dinstinguèrent par la sainteté de leur vie et le dévouement à leur devoirs. C'est ce que je vais essayer de vous montrer dans vénérable et discrète personne, Messire Pierre-Louis Dupire, chanoine honoraire de Soissons, curé-doyen de Sissonne, en vous rappelant, comme je viens de l'indiquer, la sainteté de sa vie et son dévouement à ses devoirs. Suivez-moi, je serai bref.

1° La sainteté, mes chers frères, dont on semble faire peu de cas dans le monde, on la réclame et avec raison dans le prêtre. On veut que sa vie soit pure, sa piété franche et sincère, sa conduite exemplaire. Or ce sont là précisément les qualités principales que nous remarquons dans la vie si édifiante de votre regretté pasteur.
Né dans un pays qui a donné des prêtre distingués à l'Eglise, et qui a conservé, ssous ces hautes futaies et ses frais ombrages, l'esprit de foi que S. Gobain y a répendu il y a 14 siècles ; issu d'un de ces familles patriarcales, si rares de nos jours, le jeune Dupire a trouvé dans ce double milieu tous les éléments de la sainteté, une enfance pieuse, une sagesse et une gravité précoces qu'il apporta bientôt dans nos dans nos séminaires diocésains, ces grandes écoles de science et de vertu pour le clergé.
Ce fut cette forte discipline du cloître que, tout en étant déjà l'exemple des ses condisciples, il s'affermit dans la résolution qu'il avait prise de se consacrer au service de Dieu et des autels ; et les longues années qu'il passa dans ces saintes asiles n'ont fait que le confirmer dans sa vocation et le préparer plus dignement au sacerdoce qu'il honora pour une sainteté plus éminente.
Placé, dès les premiers jours de son ordination, dans cette heureuse vallée de Saint-Erme, où l'esprit religieux coulait alors à pleins bords, il eut le bonheur d'y vivre sous la sage direction et dans l'intimité d'un de ces dignes prêtres dont les exemples de vertu sont resté célèbres.
Toutefois la résidence du jeune vicaire y fut de courte durée ; l'autorité diocésaine l'ayant rappelé à Soissons pour y occuper la chaire de philosophie, l'abbé Dupire se montra dans ce nouveau poste ce qu'il fut toute sa vie, un vrai philosophe, c'est-à-dire un ami de la sagesse et de la vérité. Aussi aimait-il à faire reposer son enseignement moins sur les vagues théories et les élucubrations vaporeuses de la science humaine que sur les vrais princopes de ,la raison joints à ceux que nous fournit la foi, gardienne de la vérité et des mœurs.
Et poutant ce n'est pas à cet enseignement que Dieu le destinait. Il quitta donc sans regret sa chaire de philosophie pour devenir simple aumônier de l'Hôpital général de Soissons, vaste dépôt, où l'enfance et la vieillesse vivant alors ensemble donnèrent à son zèle un double et fructueux emploi dont on s'est longtemps souvenu dans ce grand établissement.
En effet, cet essai du ministère pastoral fut si heureux, qu'on crut M. Dupire assez mûr pour lui confier, il y a 36 ans, l'importante paroisse de Notre-Dame de Liess, ce grand refuge des âmes affligées qui viennent y chercher le soulagement des misères de l'âme et du corps. C'est là que, pendant huit ans, on le vit se dépenser en toute manière, à l'exemple de Billaudel, ces glorieux débris de la Révolution n'avait pour ainsi dire épargnés que pour faire refleurir, avec un zèle admirable et un dévouement sans borne, la religion et le sacerdoce dans nos contrées.
C'est donc de Liesse, de ce sanctuaire vénéré, si plein de souvenirs des croisades et de la dévotion des fidèles, que l'abbé Dupire est venu vers vous, vous apportant les fruits de son expérience et surtout de sa sainteté. C'est ici, dans cette bourgade, que vous l'avez vu à lœuvre pendant 28 ans, usant sa santé au profit de tous, mais sans oublier sa propre sanctification. Car on sait quelle a été sa vie, sa piété tendre, ses oraisons continuelles, ses mortifications. On croit que, toujours lecé à quatre heures du matin, il faisait une oraison d'une heure, que souvent il se levait la nuit pour aller prier dans son église, remplaçant autant qu'il le pouvait ces anciennes communautés religieuses qui ont disparu ; on est même autorisé à croire que, non content des mortifications ordinaires, des jeûnes ordonnés par l'Eglise, il se donnait la discipline et faisait l'heure sainte chaque semaine. Ajouterons-nous que, durant ces dernières années, alors que les infirmités étaient venues se substituer à toutes ces austérités, il n'a pas cessé un seul instant de prier, de souffrir en silence, d'être toujours exemplaire, en un mot d'être un saint. Mais votre pasteur ne fut pas seulement un saint, ce fut encore un prêtre dévoué.

2° Il y a, mes chers frères, plusieurs sortes de dévouement. Mais nous n'en connaissons que trois qui méritent ce nom ; le dévouement militaire, le dévouement religieux et le dévouement sacerdotal.
Le premier consiste à défendre sa patrie, ses foyers, sa famille. Il est beau, cetes, ce dévouement et bien qu'il ne défende que des biens temporels et passagers, on a néanmoins raison de le louer, de le grandir, de lui élever des trophées car comme le dit une sentence célèbre : Il est beau, il est doux de mourir pour son pays. Dulce est pro patriâ mori.
Le secons dévouement est celui des ordres religieux et en particulier de la sœur de la charité qui va s'enfermer dans l'atmosphère malsain des hopitaux, qui court aux champs de bataille, et meurt en soignant les malades qu'elle aide à bien mourir. Il est grand assurément ce dévouement, mais il n'atteint pas encore à la hauteur du dévouement sacerdotal.
Et voici la raison de sa supériorité sur les autres. C'est que le dévouement sacerdotal exige que la vie tout entière du prêtre soit dispensée au profit de tous, en toutes circonstances. C'est pour cela qu'il ne lui sera pas permis d'avoir une famille. Pour lui son lot, son héritage, sera d'embrasser toutes les misères, de consoler toutes les infortunes, de guérir les consciences et de les réconcilier avec la justice de Dieu.
C'est là ce qu'a fait votre vénéré doyen et son dévouement partait de haut et avait un triple objectif. Le dévouement à l'Eglise qu'il aiamit. A cette Eglise fondée par le sang de Jésus-Christ et dont le siège est à Rome, oh ! comme il affectionnait cette Eglise romaine, mère et maîtresse de toutes les autres Eglises.
Dévouement en second lieu à l'autorité diocésaine, représentée par nos évêques, siccesseurs des apôtres Voyez-le enfant d'obéïssance pendant toute sa vie. Pas la moindre réclamation dans les changements divers qui lui sont donnés. Lui aussi avait sans doute pris pour devise : Ne rien désirer, ne rien refuser, et tout accepter. C'est la devise desâmes d'élite, c'est, dans tous les cas, celle des âmes obéissantes et votre pasteur était de ce ,ombre.
Mais son continuel et absolu dévouement fut celui qu'il avait voué à sa paroisse, dévouement à la jeunesse qu'il instruisait avec tant s'assiduité ; aux unions qu'il bénissait et qu'il cherchait à rendre chrétiennes et heureuses par les préparations dont il les accompagnait ; dévouement aux malheureux qu'il soulageait si puissament de sa bourse qu'il est mort absolument pauvre. Vous parlerai-je de ses malades qu'il assistait si scrupuleusement au point de se lever la nuit, pour aller terminer auprès de leur couche ce qu'il s'imaginait n'avoir pas rempli assez complètement dans ses précédentes visites.
Voilà, mes chers frères, le prêtre que vous avez perdu et qu'avec raison vous pleurez ! Voilà quelle a été sa vie, son dévouement pour vous ! Et on voudrait dans un certain monde anéantir le sacerdoce auteur de tant de bienfaits ! affaiblir et ruiner l'action du prêtre ! et ona osé dire en parlant du clergé :voilà l'ennemi !
On s'est affreusement trompé, mes chers frères en tenant untel langage. Car nous pouvons dire et vous le dites avec nous, en parlant du clergé et de votre pasteur : voilà notre ami, voilà celui qui passe en faisant du bien, celui que rien ne pourra jamais remplacer auprès des populations chrétiennes ; parce que le sacerdoce catholique est la lumière et le cœur de la société humaine qu'il a mission de vivifier, d'encourager et de bénir jusqu'à la fin des temps.
Qu'il repose en paix, requiescat in pace, dirons-nous en terminant, votre digne et saint pasteur, auquel nous pourrion dire avec S. Maxime, parlant de S. Grégoire dans l'office de ce jour : "Bienheureux père, vous voilà en sûreté, vous qui avez tenu virilement le gouvernail de la foi, qui avez jeté l'ancre de l'espérance dans un port tranquille ; votre vaisseau, chargé de riches marchandises, a touché le rivage de l'éternel repos. " Oui reposez en paix au sein de cettte intéressante paroisse, près de cette église qui s'embellit tous les jours, au milieu de ce peuple que vous avez aimé, de" ces enfants que vous avez sanctifiés ! Reposez en paix auprès de vos bons paroissiens et de vos amis, Tandis que votre âme, comme nous l'espérons de la miséricorde divine, avec le secours des bonne set saintes prières, jouit au Ciel de la récompense que lui ont méritée votre vie sainte et votre continuel dévouement à tous vos devoirs.

Requiescat in pace !

Suivent quelques extraits adressés au joural ...

A cet éloge funèbre joignons, comme pièces à l'appui, quelques traits édifiants et quelques lignes qui nous sont adressés par un de nos excellents confrères. On y reconnaîtra l'accent de la piété filiale, on y entendra le son d'un cœur reconnaissant. Nous regrettons vivement que le peu d'espace dont nous disposons nous réduise à ces simples extraits :

« ... Sa piété était connue de tous. Qui ne sait les longues heures qu'il passait en prière dans son église. 11 y arrivait ordinairement dès 5 heures 1/2 ou 6 heures du matin, n'en revenait jamais avant 9 heures. Oraison, bréviaire, préparation à la sainte messe, action de grâces, rien n'était omis ; tout était longuement et consciencieusement accompli. Le soir il y revenait encore, y restait quelquefois deux ou trois heures consécutives. Son amour de la prière était tellement connu de ses paroissiens que plusieurs dans leur simple et naïf langage, ont souvent exprimé le désir, pour le mettre plus à l'aise, de lui voir son lit dans l'église. Faut-il ajouter qu'il y fut parfois enfermé le soir et que e'était Ià qu'on le retrouvait fort tard continuant sa priére. Il priait avec un si grand esprit de foi que les accidents les plus graves le trouvaient impassible et qu'il réalisait à la lettre le portrait de l'homme juste tracé par le poète latin.
Témoin le fait suivant.

« C'était au terrible ouragan de 1876. L'église de Sissonne était agitée comme un vaisseau par Ia tempête et menaçait à chaque instant de s'effondrer. Comme de coutume, M. le doyen était à sa place, priant à son banc dans la chapelle Saint-Martin. Tout à coup l'un des clochetons se renverse avec fracas, perce le toit, Ie plancher, tombe dans la nef et brise plusieurs bancs et quelques dalles. On accourt, M. Ie doyen était encore à genoux. Il ne s'était ni mu ni ému. Il priait toujours.

« Après la prière sa principale occupation était celle du confessionnal. Que de longues et d'interminables séances; mais aussi comme ses paroles s'insinuaient et pénétraient profondément dans les cœurs ! Demandez ceux qui l'ont connu, ils n'en parlent que les larmes aux yeux et n'ont sur Ies lèvres que des paroles de louanges et de bénédiction.

« Mais c'est en chaire et à l'autel qu'il fallait le voir, qu'il s'y trouvait bien, qu'il était heureux de publier ou de chanter les gloires du Seigneur, qu'il sentait bien ce qu'il chantait, comme la piété faisait vibrer sa voix et lui donnait des charmes inconnus. En chaire c'était l'apôtre qui parlait, il n'avait pas toujours eu le temps de préparer, mais le cœur était brûlant et bientôt vous vous sentiez émus jusqu'au fond de l'âme. Les jours de fête, les jours de première communion il ne pouvait contenir son émotion, les larmes coulaient abondantes de ses yeux et l'empéchaient parfois de parler Mais il s'arrétait alors, reprenait un nouvel élan et voix, l'une des plus fortes et des plus douces qu'on puisse entendre éclatait comme Ia foudre et se répandait en accents capables de toucher les cœurs les plus durs et de convertir les plus indifférents. Il parlait de l'amour de Dieu et de l'ingratitude des hommes. Ce n'était peut-être pas toujours parfait au point de vue de la rhétorique, mais que c'était beau de cœur et d'éloquence.

« Voilà, Monsieur Ie Supérieur, celui que vous recommandiez dernièrement aux prières de vos lecteurs. Recommandez-le de nouveau. Il s'est endormi dans le Seigneur et la mort ne l'a pas surpris. Il était prét. Depuis plusieurs mois il l'attendait de jour en jour. Dans le cours de sa longue maladie, jamais une plainte, jamais un murmuré; toujours couché, presque toujours seul il ne s'ennuyait pas. Ne pouvant plus lire, il égrenait sans cesse son chapelet. Que de rosaires, il a récités. Bon doyen de Sissonne, il a tant prié pour ses paroissiens, ses enfants et ses fréres dans le sacerdoce ! Nous aussi prions pour lui, profitons de son exemple, ne l'oublions jamais. "

 

Sources : La Semaine Religieuse du Diocèse de Soissons et Laon du 6 et du 13 décembre 1879

Recherches : J.F. Martin

Mise en page : PH


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